Dimanche 29 août 2021
18h-19h30 suites de Bach 1, 2 et 3
20h30 22h suites de Bach 4,5 et 6
JEROME PERNOO
violoncelle
Possibilité de restauration sur place entre les 2 concerts - réservation
obligatoire
Jérôme PERNOO – Biographie
A la suite de ses études au Conservatoire de Paris, Jérôme Pernoo a été de nombreuses fois récompensé lors d’importants concours
internationaux : Lauréat au Concours Tchaikovsky à Moscou, 3e Prix au Concours Rostropovitch à Paris en 1994 et 1er Prix au Concours de Pretoria en 1996.
Jérôme Pernoo se produit avec la plupart des grands orchestres symphoniques français et collabore étroitement avec l'Ensemble Matheus
et Jean-Christophe Spinosi. Avec celui-ci, il est invité au Festival de Salzbourg en 2010 et au Carnegie Hall de New York en 2013. A l'étranger, il joue avec des phalanges telles que le
Deutsches-Symfonie Orchester Berlin, le Chamber Orchestra of Europe, l'Orchestre Symphonique de Vienne, l'Orchestre du Bayerische Staatsoper à Munich, l'Orchestre de l'Opéra de Zurich,
l’Orchestre National de France, l’Orchestre du Théâtre Royal de la Monnaie, l'Orchestre National d'Espagne ou l'Orchestre de la Radio de Stockholm sous la direction de Marc Minkowski,
Stéphane Denève, Alain Altinoglu, James Gaffigan, Fayçal Karoui, Jérémie Rohrer…
Il côtoie en récital, avec le pianiste Jérôme Ducros, quelques-unes des scènes musicales les plus prestigieuses : la Philharmonie de
Berlin, le Wigmore Hall à Londres, le Théâtre des Champs-Elysées, le Théâtre du Châtelet et la Cité de la Musique à Paris. Ses autres partenaires de musique de chambre se nomment : Alina
Ibragimova, Renaud Capuçon, Gérard Caussé, Antoine Tamestit, Henri Demarquette, Christophe Coin, Frank Braley, Nicholas Angelich, Eric Le Sage, Bertrand Chamayou, Emmanuel Pahud, Paul Meyer,
les quatuors Ebène, Modigliani, Chiaroscuro…
Dédicataire d'œuvres de compositeurs tels que Guillaume Connesson, Jérôme Ducros ou Jérémie Rhorer, il a en 2008 interprété en Première
mondiale le concerto pour violoncelle de Guillaume Connesson et en 2014 le concerto pour violoncelle de Jérémie Rhorer avec l’Orchestre de Pau-Pays de Béarn. Jérôme Pernoo est co-fondateur du
Festival de Pâques de Deauville, puis il crée en 2005 le festival Les Vacances de Monsieur Haydn à La Roche Posay, dont il est le directeur artistique.
En 2015, il fonde le Centre de musique de chambre de Paris (en résidence à la salle Cortot) qui est un lieu de transmission et de
partage de la musique de chambre.
Il enregistre pour Deutsche Grammophon le Concerto d'Offenbach avec Marc Minkowski et le Concerto de Connesson avec Jean-Christophe
Spinosi (Choc de Classica). Avec Jérôme Ducros, il publie les sonates de Rachmaninov et de Bridge, ainsi que la "Sonate à Kreutzer" de Beethoven. En 2012 est sorti un disque entièrement dédié
à la musique de chambre de Guillaume Connesson dans la collection Pierre Bergé (Choc de Classica).
Il joue actuellement un violoncelle baroque et un violoncelle piccolo italiens anonymes du XVIIIe siècle, école de Milan, ainsi qu'un
violoncelle moderne fabriqué pour lui par Franck Ravatin. En 2005, il est nommé professeur de violoncelle au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris.
Jérôme Pernoo tient ici à rendre hommage à ceux qui lui ont appris le violoncelle : la très dévouée
Germaine Fleury, Klaus Heitz, Xavier Gagnepain et Philippe Muller au Conservatoire de Paris.
En 2001 Jérôme PERNOO écrit à propos de Johann Sebastian BACH et des 6 Suites a Violoncello solo senza basso
Que retient-on après la dernière note des Suites pour violoncelle ? Au fond de nous-même, qu’avons-nous reçu de ce que
Bach nous a offert ? Chacun de nous a de multiples réponses. De toute évidence, nous sommes face à une œuvre poétique, laissant une grande part d'imagination à ses auditeurs. Le violoncelle
évolue avec une apparente facilité, même si l'écriture pour un instrument seul à vocation mélodique est à l'opposé du langage harmonique. Ce qui aurait pu être une impasse devient l’essence même
d’une expression artistique : la suggestion.
Rappelons que c'est une drôle d'idée en 1720 d'écrire pour violoncelle seul. Le violoncelle était alors un instrument
d'accompagnement réussissant tout juste à s'imposer en France face à la noble Viole de Gambe. Peut-être l'étude de cet instrument d'origine italienne fait-elle partie du voyage initiatique
imaginaire de Bach au pays des vénitiens, comme ce fut le cas quelques années plus tôt au travers de transcriptions de concertos de Vivaldi ou de Marcello. Une des premières expériences du genre
a été réalisée par Domenico Gabrielli avec sept Riccerare pour violoncelle seul. Plus tard, chez les romantiques, les compositeurs ne se risquent pas à
écrire pour violoncelle seul. Ce n'est qu'au XXe siècle, lorsque la tonalité est "abolie", que l'on assiste à une effervescence de solos pour cet instrument.
De 1717 à 1723, Bach était à la cour de Coethen au service du Prince Léopold. Fin musicien amateur, Léopold avait réussi
à s'entourer des meilleurs artistes de son temps, dont Christian Abel, violoncelliste, pour qui Bach a vraisemblablement écrit les Suites. Léopold exigeait de sa cour des concerts presque tous
les soirs ! Et uniquement de la musique contemporaine ! C'est ainsi que Bach, privé de musique à l'église dans ce contexte calviniste, donna naissance à cette musique profane que l'on connaît :
Concertos Brandebourgeois, Sonates et Partitas pour violon seul, Cantates profanes, etc. Il faut se représenter cette période certainement comme la plus heureuse et la plus festive de sa
vie.
L'autographe des Suites pour violoncelle est perdu, mais nous avons la précieuse copie qu'Anna Magdalena, la deuxième
femme de Bach, a faite vers 1730. Il semble qu'elle ait été pressée par le temps pour copier ces pages, vu l'accumulation d'étourderies dans les dernières Suites. L'autre source intéressante dont
nous avons connaissance est la copie de Peter Kellner qui date de 1726. On y trouve agréablement quelques libertés d'ornementation. Deux autres copies de la deuxième moitié du XVIIIe
siècle, moins "fiables" stylistiquement car plus tardives, montrent que l'intérêt pour cette partition n'est peut-être pas retombé aussi tôt qu'on le croit.
L'étude de ces sources permet d'entrer au cœur de l'œuvre et de se mettre dans la peau d'un violoncelliste du XVIIIe qui
passe ses journées à lire des basses continues et qui soudain découvre ces pages. En exécutant simplement les notes qui s'y trouvent, il est alors émerveillé par l'illusion d'une polyphonie jamais rencontrée auparavant, où un simple archet et une simple corde suffisent à créer un orchestre imaginaire. La
parfaite imbrication des lignes mélodiques et de la basse (le plus bel exemple est peut-être la Sarabande de la Suite en ut mineur) offre à notre subconscient une floraison d'harmonies et de voix
sous-entendues. Même le plus néophyte des auditeurs goûte à ce plaisir, car il a créé dans son inconscient, depuis sa tendre enfance, un certain sens de la tonalité en écoutant de la musique ou
en chantant.
Ces "sous-entendus" appellent en chacun de nous un univers musical, de la même façon que les mots en poésie dépassent
leur sens propre et créent des images ou des sensations qui ne sont plus seulement intellectuelles.
Les 6 Suites a violoncello solo se différencient entre elles essentiellement
par leurs tonalités, qui donnent à chacune un caractère propre. Bach a choisi celles qui feront le plus librement résonner les cordes à vide de l'instrument quitte à baisser d’un ton la première
corde, comme dans la Cinquième Suite – la scordatura était chose courante.
Ainsi, les degrés forts (sous-dominante, dominante et tonique) correspondent aux cordes du violoncelle. Seule la
Quatrième Suite est dans une tonalité non « violoncellistique ». La couleur particulière de mi bémol majeur détache cette Suite de ses voisines. C’est une lumière tout intérieure qui se
déploie. Je ne peux m'empêcher de rapprocher l'atmosphère générale de la Quatrième Suite à cette phrase de la Cantate BWV 31 pour laquelle Bach revient spécialement en mi bémol majeur :
"Laisse-moi devenir pareil aux anges !"
La tonalité de la Cinquième Suite, ut mineur, est des plus profondes et ténébreuses. Il est étonnant de constater que
Bach n'a pas choisi une tonalité plus brillante pour une Suite dans le style français. Voici un des exemples de la richesse du métissage entre une expression toute germanique et une forme
parfaitement française, un des charmes de ce que Couperin appelle les « Goûts Réunis ». Cette
Suite grave et dramatique lui inspirera quelques années plus tard une version pour luth en sol mineur qui offre par ses possibilités polyphoniques beaucoup d'informations précieuses. Par exemple,
la première Gavotte commence par une marche de septièmes, ce qui rend poignante et désespérée cette "après-Sarabande". La deuxième Gavotte qui pourrait paraître fluide et véloce comme une gigue
avec sa ligne continue de triolets, dans sa version pour le luth devient élégante et retenue, au moyen d'une basse qui ponctue chaque temps. A l'inverse, Bach ne change rien à la Sarabande, la
laissant dans sa parfaite monodie évocatrice...
Le cycle se termine par la tonalité la plus lumineuse : Ré majeur. La Sixième Suite, écrite pour violoncelle piccolo à
cinq cordes, illustre les plaisirs terrestres avec ses airs de chasse à courre dans le Prélude, ses passions dans la Sarabande et ses paysanneries dans la deuxième Gavotte. La Gigue finale
devient presque une danse sacrée, un Alleluia jubilatoire louant grâce à la vie.
Les six Suites sont construites selon la même architecture : un prélude et une suite de danses alternativement
modérées et rapides. Au centre de ces cinq danses se trouve le "trésor" expressif de l'œuvre. La Sarabande rayonne et tient véritablement lieu de clé de voûte entre Allemande-Courante d'un côté
et Menuet-Gigue de l'autre, la Bourrée ou la Gavotte remplaçant le Menuet tour à tour.
Le Prélude (de prae ludere,
avant de jouer) est une introduction, à l'origine improvisée. Une sorte de promenade harmonique, nous révélant les différents parcours tonals de la Suite. Le rythme y est systématique et par là
quasiment inexpressif. Il n'y a pas non plus d'expression mélodique, car tout réside dans l'harmonie. Cette neutralité du rythme et de la mélodie laisse place à l'écoute d'autres sensations,
peut-être plus mystérieuses. La simple succession des accords vient parler directement à notre monde intérieur sans passer par les gestes, les images ou les mots. La cinquième Suite étant dans le
style français, le Prélude devient une véritable ouverture avec ses rythmes pointés suivie d'une fugue à quatre voix. Par ordre d'apparition : Alto, Soprano, Basse, Ténor, mêlant mélodiquement
sujet et contre-sujet. Le violoncelle se transforme en instrument à clavier dont on n'entendrait que ce qui est parfaitement utile à la compréhension du discours.
La Suite commence alors réellement avec les danses. Certaines d'entre elles étaient encore dansées à l'époque de Bach,
mais il s'agit dans tous les cas de danses stylisées. Leur forme est traditionnelle, mais le fond du discours est subtilement détourné. Ce procédé sera maintes fois utilisé dans le futur et
Chopin en est certainement l'un des meilleurs illustrateurs : Tout le monde est prêt à reconnaître qu'il a écrit de véritables valses, mais je défie quiconque de les danser telles quelles
!
L'Allemande ouvre le bal, et c'est justement une danse qui n'évoque rien de
précis aux interprètes de l'époque. Elle n'est plus dansée depuis le XVIIe siècle. Ainsi, n'est-ce pas le meilleur moyen pour le compositeur de laisser libre cours à sa fantaisie créatrice ? Le
discours y est fluide et ininterrompu comme ces flots de paroles qui vont librement dans nos têtes. On trouve parfois dans les Allemandes de ces Suites un léger parfum de récitatif, le tout dans
une structure large à quatre temps. Souvent, deux idées s'affrontent puis se développent ; en cela, l'Allemande est un peu l'ancêtre de la forme sonate.
De même, la Courante - celle que l'on dansait à la cour - était depuis le
XVIIe siècle une forme essentiellement instrumentale. Mais la structure rythmique beaucoup plus marquante, reste très forte et continue à évoquer des points d'appuis de danseurs et des sauts dans
l'espace. De sa forme italienne, à trois temps et très véloce, se démarque outrageusement sa forme française, lente et noble, comme dans la Cinquième Suite. Le charme de la Courante à la
française tient beaucoup de l'ambiguïté d'une mesure à six temps, divisée tantôt en deux (6/4) tantôt en trois (3/2).
Sommet expressif de la Suite, la Sarabande, est construite sur une mesure
irrégulière : un temps court, un temps long. C'est justement de ce temps long, étiré et suspendu, de ce pas glissé, que vient toute la poésie de cette danse encore en vogue au XVIIIe. Ironie du
sort, vers 1650 en Espagne, la Sarabande se chantait à toute allure sur des paroles lascives et fortement réprimées...
Après ces quatre premiers mouvements, les Menuets, Bourrées ou Gavottes, danses françaises par excellence, tiennent leur rôle d'intermède comme le scherzo d’une
symphonie classique. Le discours reste léger et contrasté par l'alternance majeur/mineur. Tout le monde à l'époque sait danser le Menuet. Les petits pas "menus" et rapides sont dépassés depuis
longtemps : la mode est aux tempos lents, en particulier depuis l'ordonnance du vieux Louis XIV qui n'avait plus ses jambes de vingt ans. Nul doute que le musicien jouant un menuet avait en tête
les points d'appuis du danseur et surtout le caractère de cette danse. C'est un peu comme si aujourd'hui un musicien devait jouer un tango, même sans savoir le danser, il serait facilement dans
l'esprit de l'œuvre. Ainsi, même stylisée, une danse garde son caractère initial lorsque sa tradition est encore très vive. Les Bourrées sont dans un style beaucoup plus populaire, bien
qu'admises à la cour dès le XVIe siècle, et celles de Bach sont franchement gaies, comme dans les Suites pour Orchestre. Rapides et ponctuées de lourds accents qui marquent franchement la mesure,
elles sont de même nature rythmique que les Gavottes. Ces dernières, plus précieuses, ont deux anacrouses successives suivies d'une mesure faible, obligeant une certaine retenue… plus coquine. Le
pas du danseur ne s'appuyant que sur la deuxième mesure, tous les temps qui précèdent se doivent de rester légers.
Une fois de plus, la Gigue française (toujours dans la Cinquième Suite) se
distingue de son homologue italien par sa lenteur et ses rythmes pointés. Les Italiens, plus volubiles, ont fait de la Gigue un final endiablé au rythme ternaire obstiné d'un tambourin. On peut
comprendre les indications de mesure (3/8, 6/8 ou 12/8) comme des indications de tempo. En effet, si l'on considère qu'il est de bon goût d'attendre avant un premier temps, plus la mesure est
courte plus le tempo est retenu.
C'est sur ces structures rythmiques propres à chaque danse que l'harmonie est posée, et Bach compte sur nous pour
entendre sur ces temps forts des accords qui ne sont pas littéralement exprimés.
En tant qu’interprète, une fois ces principes théoriques exposés, on entre au cœur
de l’ouvrage, on cherche son sens profond. Une seule certitude s'impose comme une évidence : plus on avance dans l’œuvre plus on s'émerveille de la poésie et de l'humanité qui en émanent. Mais
toute autre réflexion n’apporte que des interrogations. On ne fait toujours qu’apercevoir, pour finalement assumer cette "photo" de concert comme la captation d'un instant fugitif, et le
témoignage d’une interprétation déjà différente de celle d’aujourd’hui.
Si les interprétations changent, l'œuvre elle-même vit. Elle fut certainement adorée à sa naissance puis oubliée
et redécouverte. Chaque artiste lui redonnant la vie en concert apporte un regard nouveau. Elle restera assurément un "Graal" pour tout artiste posant les mains sur un violoncelle. »
Jérôme Pernoo
Juin 2001